À une époque où les ordres émanaient des évêques et des souverains, un nouveau groupe social prend de plus en plus d’ampleur jusqu’à devenir l’un des plus influents d’Europe. La puissance de ces marchands ? Leur capital et l’importance de leur réseau qui s’étendra bien au-delà de leurs frontières d’origine. Ainsi, au 12e siècle va naître puis se développer au siècle suivant, un véritable essaim de villes qui peu à peu va se transformer en mégapuissance : la Hanse. Comparable à une Union européenne médiévale, ce modèle économique commun va révolutionner les règles établies, grandir, rayonner avant de disparaître. Découvrons-le !
L’émergence de la Hanse
C’est au cœur de la Baltique depuis les ports du nord que naît la Hanse, regroupement de guildes de marchands prospères qui en s’alliant souhaitent sécuriser les routes commerciales et surtout faire face à la piraterie. La phrase « l’union fait la force » prend tout son sens et très vite, la toile du commerce établie depuis Lübeck s’étend à de nombreuses cités. Bruges, Londres, Bergen… petit à petit, elle se structure et en 1356, un traité officialise la confédération avec plus de 200 villes recensées dans 17 pays d’Europe du Nord. L’une des clés de son succès est le sérieux de son organisation. Dans chaque ville se tiennent des assemblées de représentants qui débattent de questions cruciales avant de voter des décisions contraignantes, mais nécessaires. La ligue se mue en une véritable force économique régnant sur le commerce maritime et terrestre disposant également d’un puissant système juridique pour encadrer les transactions commerciales.
Le rayonnement des villes hanséatiques
La prospérité de la Hanse attire marchands comme artisans du monde entier. Son essor se matérialise par le déploiement et la construction d’infrastructures sophistiquées. Des chantiers de ports modernes, d’églises remarquables, d’hôtels de ville ainsi que des guildhalls sont mis en branle. Tout devient possible pour des personnages charismatiques et audacieux qui marquèrent cette époque. Prêts à investir, ils firent péricliter leur fortune en s’appuyant sur ces nouvelles techniques de négoce qui bouleversèrent l’économie. L’effervescence qui régnait alors fut tout simplement inédite et grisante.
Chaque ville possédait un monopole relatif sur une matière particulière (poissons, minerais, peaux, laines ou encore productions agricoles…), évitant ainsi d’empiéter les unes sur les autres. Les pays scandinaves exportèrent des fourrures et des produits de la mer, l’Allemagne du blé, du sel, de l’argent et de l’ambre, la France des textiles et l’arrivée des Russes permit le commerce de cire, fourrures luxueuses et marchandises orientales.
L’apogée d’une confédération
En plus de ce formidable élan économique, toutes les villes concernées ont été des centres d’innovation et de progrès, notamment grâce à leurs techniques sophistiquées en matière de comptabilité ou de finance. Toute cette frénésie a renforcé le rôle prépondérant dans l’échange du savoir, permettant aux idées novatrices culturelles comme intellectuelles de se diffuser dans ces différentes régions d’Europe. Encore aujourd’hui les traditions locales, l’esprit d’entreprise ou l’héritage architectural font toujours partie intégrante de l’identité de ces villes.
Déclin du géant
Mais l’émergence de nouvelles puissances maritimes, les Pays-Bas, l’Angleterre remirent en cause la domination jusqu’alors prospère et les premiers signes de déclin apparurent au 16e siècle. L’ouverture de routes commerciales, comme celle de l’Inde par exemple, a irrémédiablement détourné une partie de ce trafic lucratif dont le coup de grâce fut porté par la guerre de Trente Ans (1618-1648). En 1669, la confédération est officiellement dissoute, mais la dynamique qu’elle a su insuffler aux nations continuera pendant longtemps à susciter l’admiration et à servir de modèle.
Les villes hanséatiques, d’hier à aujourd’hui
Au cœur de la Hanse, certaines villes se sont particulièrement épanouies que cela soit sur les plans économiques, culturels ou encore politiques. Véritables modèles de puissance et de prospérité, leur rôle aura été moteur dans le développement et le rayonnement de la confédération.
En Allemagne :
Si l’on devait citer une seule contrée germanique, ce serait Lübeck. Carrefour commercial incontournable à l’activité bouillonnante, elle s’est également illustrée en tant que pépinière intellectuelle et artistique, attirant savants et artistes venant de toute l’Europe. Fondée en 1143, elle est considérée comme la première ville occidentale sur la Baltique. De nos jours, le centre-ville historique de celle qu’on surnomme « la reine de la Hanse » est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et pour cause, son château, ses églises gothiques, ses maisons à colombages et ses entrepôts de stockage en brique rouge sont particulièrement bien conservés. Passé et présent cohabitent à merveille, mais c’est indéniablement l’église Sainte-Marie qui attire tous les regards puisqu’elle possède la plus haute voûte de brique du monde. À travers les ruelles et chemins de Lübeck s’égrainent autant de cours bordées de cafés que de constructions dans la vieille ville : le Burgkloster (monastère du château), le Koberg, la fameuse Holstentor (porte fortifiée de Holstein considérée symbole de la ville), sans oublier le grenier à sel sur la rive de la Trave. Le marché aux puces qui est l’un des plus anciens du pays est l’un des passages obligés pour les amateurs de brocante qui aiment autant chiner que déguster une spécialité locale.
Plus ancienne grande ville allemande, la position géographique de Cologne au croisement des routes commerciales entre l’Orient et l’Occident lui permit de devenir membre de la ligue Hanséatique en 1475 et l’une des plaques tournantes du négoce terrestre. Connue également pour ses foires annuelles, elle attira les marchands du monde entier. Même si la Cologne actuelle n’a rien à voir avec celle qui fut détruite par les bombardements alliés pendant la Seconde Guerre mondiale à près de 90 %, c’est pour son côté festif qu’on y séjourne aujourd’hui.
À Wismar, le centre historique a gardé tout son charme médiéval. Située sur la côte de la mer Baltique et à 60 km de Lübeck, sa place du marché bordée de maisons à colombages colorés avec en son sein l’église gothique Saint-Nicolas est un incontournable. Elle fut l’une des premières à adhérer à la Hanse en 1259. Celle qui fut longtemps suédoise a eu la chance de ne pas voir son plan médiéval détruit par les raids aériens de la Seconde Guerre mondiale. Inscrite au patrimoine de l’UNESCO, elle est un témoin parfaitement conservé de l’aménagement des villes de commerce maritime conformément au droit de Lübeck.
La Pologne et les pays baltes
En Pologne, Dantzig était un centre d’exportation majeur pour le bois, les céréales et l’ambre. Grâce à sa prospérité, elle a pu construire de somptueux édifices publics et religieux, témoignant de sa puissance et de son raffinement.
D’autres villes ont contribué à la grandeur et à la fortune de la Hanse, notamment celles des actuels Pays baltes. À Riga, le port accueillait des navires en provenance de toute l’Europe du Nord. Les artisans locaux étaient quant à eux réputés pour leur savoir-faire dans la fabrication d’objets en bois et en métal. La capitale lettone a été membre de la Hanse pendant près de 4 siècles. Son centre historique, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, regorge d’édifices remarquables, comme la cathédrale du Dôme, l’église Saint-Pierre et la Maison des Têtes Noires, une ancienne guilde de marchands. Cette dernière se dresse sur la place du marché, avec sa façade à gradins ornée de volutes et d’obélisques. C’est ici même que les jeunes négociants célibataires organisaient de grandes fêtes. De nos jours, la vie nocturne de Riga est toujours aussi dynamique et appréciée, tout comme sa scène culturelle.
À Tallinn, la vieille ville est un bijou d’architecture médiéval parfaitement conservé. Tours de guet et remparts nous plongent dans l’atmosphère de la Hanse, protégeant d’imposantes constructions et un dédale de ruelles pavées. Les monuments à visiter sont la cathédrale gothique Alexander Nevsky, la place de l’hôtel de ville, ainsi que le passage Sainte-Catherine, témoignant du pittoresque commerce médiéval.
D’autres villes importantes
Bruges en Belgique fut l’un des comptoirs commerciaux parmi les plus renommés. Son centre historique également classé est un véritable chef-d’œuvre d’architecture gothique et Renaissance. Symbole de la ville, la Grand-Place est bordée de maisons à pignons et dominée par le beffroi.
D’autres villes méritent qu’on évoque leur importance à cette époque. C’est le cas de Bergen en Norvège qui était un point d’accès privilégié au négoce avec les pays scandinaves. Sa réputation tenait surtout de son marché aux poissons où se négociait la morue séchée, produit très prisé dans toute l’Europe qui s’échangeait contre du sel et des céréales.
Nous pourrions énumérer encore de nombreux exemples sachant qu’au 14e siècle plus de 200 villes situées dans 20 états actuels avaient rejoint ce réseau paneuropéen.
De Bruges, Bordeaux et Londres à l’ouest, jusqu’à Cologne, Nuremberg, Venise au sud en passant par Novgorod, Riga, Tallinn à l’est, la Hanse a marqué l’Europe du Nord pendant plusieurs siècles. En visitant tous ces lieux chargés d’histoire, vous constaterez ô combien l’héritage architectural, culturel et commercial est encore imprégné de sa grandeur et de sa prospérité.